Lors de la préparation de mon précédent article sur les élections présidentielles en France, je suis tombé sur une interview de 1956 de Gaston DEFFERRE ministre de la France d’Outre mer du gouvernement Guy MOLLET.

M. DEFFERRE répond à des étudiants de Sciences-Po au sujet de la loi cadre qui vise à faire évoluer le mode de scrutin électoral notamment pour supprimer le système dit du -double collège- et faire en sorte que les habitants de l’empire colonial français puissent avoir accès au suffrage universel.

Vous pouvez consulter le document dans son intégralité et sa retranscription complète à l’adresse suivante :
http://fresques.ina.fr/independances/fiche-media/Indepe00120/la-loi-cadre-defferre-de-1956.html

C’était il y a 61 ans, mais à l’échelle de l’histoire c’était il y a quelques heures. Je pense qu’il est essentiel que nous puissions connaitre cette histoire, notre histoire , nous rendre compte du chemin parcouru et méditer sur les défis que nous avons encore à relever aujourd’hui.

Je partage avec vous un extrait qui a particulièrement retenu mon attention.

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Intervenante 1
Oui, je crois que la grande nouveauté, c’est l’institution du suffrage universel.

Gaston Defferre

Alors, cette loi a également prévu l’institution du suffrage universel et du collège unique. C’était une revendication qui tenait à cœur non seulement aux Africains, mais à tous les habitants des territoires d’outre-mer.

Intervenante 2

Oui, mais ça doit poser des quantités de problèmes, parce qu’il y a des quantités de gens qui ne sont pas évolués, qui ne savent pas lire…

Intervenante 1

Du point de vue propagande électorale, par exemple.

Gaston Defferre

Ça pose d’incontestables problèmes, mais la preuve en était rapportée tout récemment – nous en parlerons peut-être tout à l’heure – au cours des élections municipales qui viennent d’avoir lieu, qui, pour la première fois, ont eu lieu – partout – au suffrage universel et au collège unique, que les populations les moins évoluées sont très intéressées, en vérité, par la situation politique. Et que même, les gens qui ne savent ni lire, ni écrire connaissent les candidats, connaissent les partis, et savent parfaitement choisir.

Intervenant 2

Monsieur le Ministre, je m’excuse de revenir en arrière. Mais pourriez-vous nous dire comment étaient conçues les élections dans les territoires d’outre-mer avant la loi-cadre qui, elle, prévoit le simple collège, collège unique ?

Gaston Defferre

Avant la loi-cadre, il y avait ce qu’on appelait le double collège. C’est-à-dire que les Blancs, qui représentent, dans les territoires d’outre-mer… Ce qui les distinguent de l’Algérie où la situation est très différente, car en Algérie, il y a un nombre très important de Blancs, tandis que dans les territoires d’outre-mer, par rapport à la population autochtone, il y a un nombre infime. Avant la Guerre, il y avait deux collèges… ou plus exactement, avant la loi-cadre, il y avait deux collèges. Le premier collège dans lequel n’étaient inscrits que des électeurs blancs, qui votaient pour leurs députés, leurs sénateurs, le cas échéant, leurs conseils municipaux. Puis, le deuxième collège dans lequel il n’y avait que les autochtones – c’est-à-dire en Afrique, les Noirs – qui votaient pour leur député et, en général, pour des Noirs.

Intervenant 2

Et on faisait une différenciation entre le droit de vote entre ces Noirs qui constituaient le second collège ? Et sur quel fondement était fondée la possibilité pour tel Noir de voter ou, au contraire, l’impossibilité partielle pour tel autre ?

Gaston Defferre

En vérité, il y avait une sorte de suffrage censitaire. Vous qui êtes des étudiants, vous vous rappelez l’histoire de France mieux que moi. Vous savez ce que c’était. Parmi les autochtones, n’avaient le droit de vote que ceux qui avaient certains diplômes, ceux qui avaient certains titres fonciers. En réalité, il n’y avait pas de suffrage universel.

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A méditer donc…