Le 28 juillet j’ai assisté à la dernière journée du festival Black Movie Summer. Lors du débat animé par Danielle AHANDA, Fatou NDIAYE et Anyès NOEL sur la place de la beauté Noire dans les médias, une intervention a retenu mon attention. Alors qu’il était question des problèmes de distribution de « Désordres », film indépendant avec Sonia ROLLAND, une personne dans l’assemblée se leva pour expliquer qu’elle ne va pas voir un film simplement parce que les acteurs sont Noirs. Elle avait vu le film de Sonia ROLLAND, l’avait trouvé médiocre et considérait qu’en l’occurrence il ne méritait pas d’être largement distribué dans les salles de cinémas.

Cette intervention fut extrêmement bénéfique parce qu’elle permit à chacun de s’interroger sur ses propres attentes. Qu’est ce que nous, Noirs, recherchons lorsque nous allons voir une œuvre cinématographique afro ?


Lorsque je vais voir un film afro, je ne suis pas dans une logique de divertissement pure, je suis d’abord dans une démarche militante. J’essaie de participer à l’émergence d’un monde dans lequel l’homme et la femme Noire sont les producteurs de leur propre image, acteurs de leurs propres représentations. Les enjeux sont immenses, il s’agit de pouvoir maîtriser la perception que nous nous faisons de nous mêmes.

A quelle référence audiovisuelle s’identifient nos enfants ? Comment ces références impactent-elles la construction de leur personnalité ?

Bien souvent les producteurs et réalisateurs ne s’intéressent pas à nous, ce qui se traduit purement et simplement par notre absence des médias audiovisuels. Très longtemps nous avons été réduits à de simples caricatures, cantonnés à des rôles secondaires, des rôles de guignol ou de faire valoir. Même si les choses progressent il reste rare de trouver des contenus audiovisuels valorisant nos identités et cultures afro, rare de trouver de contenus audiovisuels nous incitant à nous unir, rare de trouver des contenus audiovisuels nous exhortant à faire notre examen de conscience pour identifier et faire évoluer ce qui, dans nos mentalités, freine notre développement.

A qui la faute ? D’abord à nous. Là où les autres communautés soutiennent instinctivement leurs propres films, notre soif identitaire semble être réduite au strict minimum.

Quel mal y a t’il à aller voir un film d’abord parce que les acteurs nous renvoient une image dans laquelle nous nous reconnaissons ? C’est exactement ce que font toutes les communautés. En France la population blanche est majoritaire, les acteurs des principaux films du box office sont blancs. Je ne crois pas qu’il y ait là quelque chose de choquant. Pourquoi devrions-nous adhérer à des références qui ne sont pas les nôtres du fait notre position minoritaire ?

Je vais régulièrement dans différents bazars tenus pas des asiatiques. Dans plusieurs d’entre eux une télévision est disponible afin d’accompagner le caissier tout au long de sa journée de travail. Il ne m’est jamais arrivé de passer en caisse et de voir un film américain ou français. Les films qui accompagnent ces caissiers sont systématiquement asiatiques. En France ces personnes sont minoritaires tout comme nous, privilégier les films issus de leurs communautés ne semble générer aucune polémique chez eux.

Si nous avons tant de mal à agir de façon similaire, c’est, je pense, parce que nous n’avons pas assez le sentiment de former une communauté. La notion de préférence communautaire si naturelle chez les autres, produit chez nous un véritable malaise. Certaines actions parfois peu satisfaisantes d’un point de vue individuel doivent être menées du fait de leurs conséquences positives au niveau de la communauté. Lorsque moi, Noir, je vais voir un film afro je peux apprécier ou pas le film en question mais dans tous les cas je soutiens ceux qui se battent pour que nous soyons plus représentés dans les médias. Je soutiens ceux qui se battent pour que nous ayons nos propres références.

Oui, mon univers audiovisuel et cinématographique de référence est constitué très majoritairement d’intervenants et d’acteurs Noirs. Il va de soi que ce n’est pas pour cela que je m’interdis de voir des films issus d’autres univers. Évidemment au sein de ces références afro certaines productions me plaisent plus que d’autres mais l’enjeu est ailleurs. Nous devons comprendre que plus nous serons nombreux à soutenir les films afro, nombreux à nous déplacer pour aller les voir, nombreux à payer nos places de cinémas, nombreux à les télécharger sur les plateformes légales et plus ces films disposeront des moyens importants pour améliorer leur qualité.

Il n’est pas question de fiction mais d’un processus réel dans lequel nous avons à jouer le rôle principal. Lorsque je repense à cette intervention qui m’a tant marqué lors du festival Black Movie Summer, je me rends compte que la partie est loin d’être gagnée.