Il me semble que le développement avant d’être une question de richesses produites sur un territoire, traduit d’abord la capacité d’une société à accéder à un certain état d’esprit, à un niveau de prise de conscience. De ce fait les solutions qui prétendent faire progresser la question du développement en se basant uniquement sur des interventions financières et matérielles me semblent vouées à l’échec.


Voici un certain nombre de points sur lesquels il me semble important d’agir afin de lutter non pas contre le sous-développement (lutter contre la pauvreté matérielle) mais contre le mal-développement (lutter contre la pauvreté mentale) :

La vision que les individus ont d’eux même. Être dans une zone développée c’est d’abord être dans un espace dans lequel les gens se pensent comme des individus développés. Faire prendre conscience aux gens qu’ils ont une valeur c’est à la fois les aider à rejeter certains comportements toxiques dans lesquels ils ne se reconnaissent plus et les aider à devenir des acteurs et non simplement des victimes de leur destin. Puisqu’ils ont de la valeur, ils ont du pouvoir et donc une responsabilité dans les choix qu’ils prennent. Tout fatalisme, tout sentiment d’impuissance est à exclure.


Exemple : Il n’est pas rare de voir en Afrique noire des familles, parfois monoparentales aux revenus extrêmement modestes avec plus de 5 enfants à charge. Ce type de situation nourrit la pauvreté et le désespoir. Il est absolument impossible pour ces familles de subvenir seules aux besoins et à l’éducation de leurs enfants. Malgré les efforts des différentes autorités nationales, internationales et des associations pour permettre aux femmes africaines d’accéder à des outils de contrôle des naissances, l’impact de ces actions restera modeste tant que les mentalités n’évolueront pas et que les femmes africaines n’établiront pas un autre regard sur leur corps et sur le sens qu’elles donnent à la natalité.


La reconnaissance de la primauté de l’intérêt général sur les intérêts particuliers. Travailler pour l’intérêt général permet à la société dans son ensemble de progresser, pas simplement à certains individus de s’enrichir au détriment des autres. C’est pourquoi il est important que les individus aient à cœur de se demander dans quelles mesures les actions qu’ils prennent participent au développement. Cette question va bien au-delà du problème de la corruption, c’est l’impact de nos choix individuels qu’il faut repenser. En ce qui concerne la corruption, notons que ce n’est pas simplement l’affaire des responsables politiques et économiques. Elle existe à tous les niveaux et il faut la dénoncer partout avec force.


L’accès au sein de la société à un niveau élevé de confiance et de cohésion. Plus les individus comprendront qu’ils doivent repenser leur manière de penser et d’agir pour privilégier l’intérêt général et plus la gestion des conflits à la fois individuels et collectifs se déroulera de façon apaisée. Chaque société, en effet, est composée de différents groupes ; groupes ethniques, sociaux, politiques, religieux etc. Une société en mal de développement se caractérise par la focalisation de ces groupes sur des intérêts qu’ils croient divergents et sur des échanges basés systématiquement sur la suspicion, l’opposition, la violence verbale et physique. Il s’agit de sociétés dans laquelle la richesse se conçoit comme un jeu à somme nulle. Ce que je gagne tu le perds et vis et versa. Une société développée se caractérise au contraire par la capacité des différents groupes qui la composent à prendre conscience de leurs intérêts communs et à réaliser des échanges basés sur le respect et la recherche d’une solution acceptable pour tous. Dans les sociétés développées matures la reconnaissance de l’interdépendance entre les différents groupes modifie radicalement la gestion des conflits. La mise en place de solution produisant des perdants est perçue comme préjudiciable à tous. Là où les sociétés en mal de développement voient des solutions gagnant-perdant, les sociétés développées voient des solutions perdant  – perdant. Le prétendu gagnant est en réalité perdant mais pour s’en rendre compte il faut avoir une vision de long terme. Seules les solutions de type gagnant-gagnant sont viables c’est-à-dire acceptables et durables.


Exemple : En Afrique noire les élections sont, sauf exception, constamment l’objet de contestations. Il est rarissime que les perdants reconnaissent leur défaite et félicite le vainqueur, encore plus rare lorsque le perdant en question est le président au pouvoir. Ce qui est remis en cause ce sont souvent l’absence de moyens matériels et logistiques : absence de listes électorales fiables, l’absence d’observateurs indépendants, le manque de bureau de vote, le nombre insuffisant de bulletins de vote etc. La source du mal est à mon avis beaucoup plus profonde et va bien au-delà de ces questions matérielles et d’organisation. C’est d’abord l’absence de confiance et de respect entre les protagonistes qui est en cause. Toutes les solutions possibles pourront être mises en place, si la confiance et le respect ne sont pas présents, nous assisterons toujours au même scenario.

C’est pourquoi la confiance à une valeur inestimable et vaut bien plus que l’or et l’argent. C’est à mon avis son absence qui est la cause principale des maux qui frappe notre cher continent africain