Rokhaya Diallo lance avec le soutien de France télévision une plate-forme visant à prendre conscience, dénoncer, et témoigner du racisme ordinaire. Excellente initiative qui renforce mon admiration pour Rokhaya.

Je souhaite partager avec vous quelques réflexions relatives à ce projet.

Malgré les explications qu’elle nous donne pour définir le racisme ordinaire, il me semble que Rokhaya et bon nombre de personnes qui témoignent sur ce site confondent racisme et préjugés.

Si certains des propos rapportés sont ouvertement racistes d’autres relèvent plus de l’ignorance, de la maladresse, de la bêtise ou du préjugé. Certains de ces préjugés sont d’ailleurs totalement déconnectés de l’apparence physique des individus.

Le racisme est une idéologie qui repose sur une distinction et une hiérarchisation des êtres humains en fonction de leur appartenance raciale. Le racisme ordinaire ? C’est la manifestation de cette idéologie dans notre quotidien.

Pour bien comprendre comment se manifeste préjugés et racisme il nous faut distinguer :

  • Ce qui relève du raisonnement
  • Ce qui relève du langage
  • Ce qui relève de l’attitude

Considérons avec attention le témoignage que Lilian Thuram présente sur la plate forme.

Y’a t’il eu un raisonnement basé sur la couleur de peau ? Evidemment. La personne en question a vu un Noir et a projeté sur lui ses propres préjugés: « Les Noirs sont tous pauvres » donc ce Noir n’a pas les moyens d’être client de ce restaurant. Le responsable du restaurant croyant désamorcer la situation ne fait qu’empirer les choses par sa maladresse. Son « Désolé on ne vous avait pas reconnu » ne signifie rien d’autre que vous êtes l’exception qui confirme la règle.

Lilian a t’il été victime d’insultes racistes ? Non. Elle n’a pas dit : « sale Noir sort de ce restaurant » ni rien de ce genre.

A t’elle eu une attitude raciste ? Contrairement aux apparences, je dis que l’on n’en sait rien. En effet, rien ne nous prouve que la couleur de peau de Lilian Thuram soit à l’origine de la virulence de cette femme. Il est tout à fait possible qu’elle agisse de façon identique avec toute personne qu’elle considère comme resquilleur, quel que soit son origine. C’est parce qu’il est Noir qu’elle croit qu’il est pauvre, c’est parce qu’elle pense qu’il est pauvre qu’elle imagine que sa présence dans ce restaurant est injustifiée, c’est parce qu’elle est convaincue que sa présence est injustifiée qu’elle se permet d’avoir cette attitude déplacée envers lui. Dire qu’elle agit de façon agressive avec Thuram simplement parce qu’il est Noir est à la fois réducteur et trompeur. Surtout cela n’aide pas a comprendre et donc à lutter contre ce genre d’attitude.

Ce qui est en cause ici c’est donc bien le préjugé initial: tous les Noirs sont pauvres. On y retrouve la notion de race « les Noirs » ainsi qu’ une notion de hiérarchie « sont pauvres » sous entendu plus pauvres que les autres; la tentation est grande de qualifier ce raisonnement de raciste.

Je pense qu’il est préférable de dire qu’il s’agit d’un « préjugé racial ».

Ces deux notions peuvent paraître proches cependant il existe entre elles de nombreuses différences :

  • Le racisme implique nécessairement une hiérarchisation des individus, les préjugés raciaux non.
  • Dans le racisme le processus de hiérarchisation relève de l’essence. Le racisme, c’est dire qu’il existe des Hommes et des sous-Hommes. C’est affirmer que l’essence humaine est discontinue. C’est affirmer que certains Hommes ont par nature une valeur inférieure ou supérieure à d’autres. Dans le cas des « préjugés raciaux » la hiérarchisation, lorsqu’il y en a, relève de la forme et ne remet pas en question, à priori, la dignité des personnes.
  • Les préjugés raciaux peuvent être partiellement exacts et trouver des explications dans des causes historiques, politiques, culturelles, économiques, biologiques, ou autres. Les idées racistes, elles, ne sont jamais acceptables.
  • Les préjugés sont le résultat de généralisations douteuses, le signe d’un relâchement au niveau de la réflexion. Le racisme est la manifestation d’un relâchement au niveau de nos principes.

L’avantage pratique de cette distinction et de nous permettre de lutter contre le racisme tout en préservant notre intégrité.

Revenons à l’exemple précédent, si je dis que l’affirmation : « Tous les Noirs sont pauvres » est une affirmation raciste j’exprime en même temps mon adhésion à l’idée qu’une personne riche est par nature supérieure à une personne de condition modeste. Si vous pensez sincèrement que ceci est vrai, c’est que vous avez un problème. Le fait d’être plus ou moins riche ne remet nullement en cause ma valeur en tant qu’être humain.

De même ceux qui qualifient de raciste l’idée : « On ne peux être à la fois Noir et Français » valident sans s’en rendre compte la pensée selon laquelle être Français ce serait être supérieur et qu’être Malien, Sénégalais ou issu de toute autre pays d’Afrique Noir serait être inférieur. Vous conviendrez avec moi que ceci est le fruit d’une pensée totalement corrompue.

Dire que les Noirs (les Blancs ou les Asiatiques ) sont plus ou moins beaux , plus ou moins intelligents, plus ou moins bon moralement que les autres, c’est du racisme. Dire que que les asiatiques sont petits ou travailleurs, que les Noirs sont fort en sport, qu’ils ont le rythme dans la peau ou qu’ils sont paresseux sont des préjugés. Evidemment ces deux attitudes sont condamnables mais le racisme me paraît infiniment plus grave dangereux et malsain. C’est pourquoi mettre tous ces témoignages sur le même plan comme c’est la cas sur http://www.francetv.fr/temoignages/racisme-ordinaire/ me semble inapproprié.

Si arrivé à ce niveau de mon article vous pensez que la démarche de Rokhaya est sans intérêt, vous avez tout faux!

Il s’agit d’une initiative excellente à plusieurs égards.

Elle met en lumière probablement comme jamais en France, l’existence des préjugés et du racisme dans ce qu’ils ont de quotidien, de latent, de persistant. Une démarche à la fois noble, originale et utile. A force de baigner dans les préjugés et le racisme nous finissons par ne plus les voir au point où, et je le dis avec amertume, il n’est pas rare que nous participions activement à leur propagation alors que nous en sommes les principales victimes

Cette plate-forme a le grand mérite de nous permettre de réfléchir et de nous remettre en question.

Un grand bravo donc encore à Rokhaya qui a su fédérer et mobiliser autour de ce projet.